Ordre

LE MINISTÈRE SACERDOTAL

 Par le sacrement de l'Ordre le Seigneur et son Eglise ordonnent des hommes à l'accomplissement d'un service du corps ecclésial, le ministère sacerdotal.

Tous constituent l'Eglise, mais le sacrement de l'ordre, en donnant à certains hommes une tâche spéciale au service de la communauté, revêt un caractère particulier. Il permet à la communauté d'être structurée, il demande à certains d'accomplir un rôle de présidence dans l'action liturgique de l'assemblée.

Les premières communautés chrétiennes étaient présidées par un collège d'Anciens, le collège presbytéral, et chacun de ces Anciens est devenu ce que nous avons appelé un prêtre.

Mais le français a utilisé ce mot pour traduire le latin sacerdos, qui désigne celui qui accomplit l'acte du culte, le personnage sacré (sacer = sacré). D'où une certaine confusion dans l'esprit de beaucoup. En parlant des prêtres, on a souvent oublié que, pour un chrétien, il n'y a qu'un seul prêtre, Jésus-Christ. Comme le dit l'épître aux Hébreux, il n'a pas besoin d'être remplacé puisqu'il est toujours vivant et qu'il continue sans cesse d'accomplir son unique sacerdoce. Cette confusion, très ancienne dans notre langue (il n'en est pas ainsi dans toutes les langues actuelles), ne facilite pas la tâche dès que l'on veut parler avec précision.

Le sacerdoce unique de Jésus-Christ est accompli solidairement par le Christ et par tous les membres de son Corps. C'est ce que l'on appelle le sacerdoce commun des fidèles. Exercer ce sacerdoce, dit le concile Vatican II, est un droit et un devoir pour tout chrétien (Const. lit. n° 14). Nous sommes tous incorporés au Christ, nous participons à son sacerdoce, cela découle de notre baptême.

Pourtant, à l'intérieur du Corps du Christ, certains membres de l'Eglise sont investis d'un ministère sacerdotal, d'un service. Si l'Eglise est un corps organisé, il devient utile, pour la bonne marche de l'ensemble, que les services, dont le corps tout entier a besoin, soient pris en charge par certains chrétiens. Le ministère sacerdotal est l'un des services que requiert la communauté, il n'est pas le seul.

 MINISTERE SACERDOTAL ET AUTRES MINISTERES

 Chacun de nous a reçu sa part de la grâce de Dieu selon que le Christ a mesuré ses dons. C'est lui qui a donné aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l'œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne plus faire qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ (Ep 4,7-13).

« Il y a diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur »  (1 Co 12, 5), disait déjà saint Paul. Depuis plusieurs siècles, l'Eglise catholique occidentale a vécu en ayant confié aux prêtres la presque totalité des ministères. La diminution du nombre des prêtres, en même temps que la prise de conscience par les laïcs du rôle qu'ils ont à jouer, ont conduit tout naturellement à reposer, sur de nouvelles bases, le problème de la répartition des ministères. Si le manque de prêtres a été l'occasion d'un tel changement, il ne peut être la raison profonde qui le Justifie. Il a seulement aidé à découvrir que l'Eglise donne un visage plus vrai d'elle-même lorsqu'elle ne concentre pas sur un petit nombre de ses membres les différents services dont elle a besoin pour vivre. Les chrétiens ne font qu'être fidèles à leur baptême lorsqu'ils acceptent de prendre leur part de responsabilité dans la vie du corps tout entier. Mais nous sommes trop marqués par les habitudes anciennes pour pouvoir, en quelques années, repenser un équilibre nouveau et un fonctionnement harmonieux. La réflexion ne fait que débuter. Le problème des différents ministères déborde d'ailleurs largement le cadre d'une réflexion sur les sacrements. Nous voulons seulement faire ici quelques remarques.

 Deux documents

Le 14 septembre 1972, le Vatican a publié deux documents : les motu proprio Ministeria quaedam et Ad pascendum. Ils ne cherchent pas à résoudre tous les problèmes, ils marquent cependant une étape qui a son importance.

L'opinion publique a fait plutôt mauvais accueil à ces documents. C'était sans doute inévitable. Ils ne donnaient pas une synthèse nouvelle, ils voulaient plutôt dégager le terrain pour que l'on puisse progresser. Prenant la situation à un point donné, ils permettent de faire un pas. Seule une étude attentive permet de comprendre l'importance du pas franchi. On a remarqué ce qui rattachait ces documents à la perspective ancienne plus que les possibilités d'orientations nouvelles. De plus il est inévitable qu'un motu proprio qui traite de problèmes concernant toute l'Eglise ne paraisse avoir que de lointains rapports avec les situations pastorales concrètes de chaque pays.

En quoi ces deux documents modifient-ils les perspectives au sujet des ministères ?

A l'origine de l'Eglise, comme en témoigne le texte de l'Epître aux Ephésiens cité plus haut, il y avait une diversité de ministères. Au cours des siècles, tous ces ministères ont été progressivement absorbés par la fonction sacerdotale, à tel point que les organes témoins de ces différents ministères sont apparus comme les degrés à franchir pour arriver au sacerdoce. C'était comme les marches d'un escalier dont le sommet serait la prêtrise. On les appelait d'ailleurs ordres mineurs. Ils étaient donnés uniquement aux futurs prêtres et leurs ordinations préparaient les ordinations aux ordres majeurs.

On aurait pu se contenter de restaurer les « ordres mineurs » dans leur autonomie, c'est-à-dire de prévoir qu'un chrétien puisse recevoir un ordre mineur sans pour autant se préparer au sacerdoce. Mais cela aurait eu l'inconvénient de faire apparaître les ministères laïcs comme mineurs par rapport au sacerdoce. Les laïcs investis d'un ministère auraient semblé s'être arrêtés à mi-chemin dans la marche à la prêtrise. Ils auraient été des demi-prêtres. Les ministères seraient restés comme des degrés successifs, chacun étant supérieur au précédent.

Rome a préféré casser cette graduation. Les ordres mineurs sont supprimés. On institue à leur place des ministères laïcs. Deux des anciens ordres mineurs, celui de lecteur et d'acolyte, pourront figurer parmi les ministères laïcs à côté des autres que les conférences épiscopales jugeront bon d'établir avec l'accord de Rome. Il n'y a donc plus des degrés successifs à franchir avec possibilité de s'arrêter en chemin ; mais la possibilité d'une diversité des ministères, parmi lesquels se trouve le ministère sacerdotal. Cela correspond mieux à la pensée de Vatican II :

« Le sacerdoce commun des fidèles et le ministère sacerdotal diffèrent entre eux, non pas seulement comme des degrés, mais ils sont d'essence différente. L'un et l'autre participent, chacun d'une façon particulière, à l'unique sacerdoce du Christ » (Lumen Gentium 10).

 Trois remarques sont encore nécessaires :

a) La place des femmes :

Ministeria quaedam ne prévoit pas de confier des ministères aux femmes. Pourquoi ? La question des ministères pour les femmes a été évoquée au Synode romain. Il a été demandé qu'elle soit sérieusement étudiée. Le travail est commencé. Dès lors, aucune congrégation romaine ne peut légiférer sur la place des femmes dans les ministères avant que l'instance supérieure qui étudie le problème n'ait donné ses conclusions. D'ailleurs Ministeria quaedam ne dit pas qu'il ne doit pas y avoir de ministères féminins, il précise seulement que, jusqu'à maintenant, selon la tradition, les ministères d'acolyte et de lecteur ont été réservés aux hommes et qu'il ne prétend pas innover sur ce point. Mais les conférences épiscopales peuvent demander que soient institués des ministères féminins.

b) Les fonctions liturgiques des lecteurs ou des acolytes ne sont pas réservées à ceux qui ont été institués dans ces ministères. Au contraire, il est expressément prévu qu'ils peuvent être aidés par d'autres laïcs qu'ils ont charge de former, aussi bien hommes que femmes. Rien n'est donc changé dans la pratique actuelle (un communiqué du Vatican l'a précisé). Dans une paroisse de France (et de tout autre pays où la conférence épiscopale l'a demandé à Rome), des hommes et des femmes peuvent faire fonction de lecteurs à la messe. Parmi eux on peut en choisir un qui portera la responsabilité de l'ensemble et qui, pour cela, sera institué lecteur.

c) On peut regretter que les deux seuls ministères laïcs qui sont ainsi institués nommément parmi tous ceux qui sont possibles, soient des ministères liturgiques. Le service de la communauté ne se limite pas au service liturgique. Cependant, il faut remarquer que leur rôle déborde celui qu'ils accomplissent au moment de la liturgie.

D'autre part, on sent le souci qu'a eu Rome de ne pas définir abstraitement des ministères nouveaux, mais de laisser aux conférences épiscopales le soin de déterminer, après expérience, ce qui pourra être utile aux églises locales en fonction des besoins propres à chaque pays. « Les conférences épiscopales pourront demander au siège apostolique les ministères dont elles auraient jugé pour des raisons particulières l'institution nécessaire ou très utile dans leur propre région. »

Il était utile, sans doute, de donner les précisions précédentes. Pour notre étude sur les sacrements nous voulons retenir le point suivant : il y a diversité de ministères dans l'Eglise. Cette diversité existe en droit, elle peut s'inscrire prochainement dans les faits. Nous ne voulons pas traiter de tous les ministères, mais d'un seul, le ministère sacerdotal. Nous ne le prétendons ni inférieur ni supérieur aux autres. Les différents ministères ont des significations différentes. Nous voulons préciser la signification du ministère sacerdotal qui correspond au sacrement de l'ordre.

Pour notre réflexion, deux directions nous sont indiquées par l'Ecriture et la Tradition : le ministère sacerdotal est le signe du Christ présent comme Tête de son Eglise ; le ministère sacerdotal est en continuité avec le ministère apostolique.

 SIGNE DU CHRIST, TETE DE SON EGLISE

 En parlant de l'Eglise Corps du Christ, nous avons précisé comment saint Paul distingue toujours le Christ du reste de son Corps, il en est la Tête et nous en sommes les membres.

Il est la Tête, dont le corps tout entier reçoit nourriture et cohésion, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu (Col 3,19. Cf. 1,18; Ep 1,22; 4,15; 5,23).

L'eucharistie est le sacrement qui constitue l'Eglise comme Corps du Christ. L'Eglise n'est pas seulement un corps parce qu'elle est composée de membres différents, chacun jouant son rôle. La place du Christ est primordiale. Ce ne sont pas les rapports entre les membres qui constituent le tout comme un seul corps, c'est le Christ qui nous incorpore à lui, c'est lui qui a l'initiative. Ce n'est pas une interaction entre nous, c'est l'action du Seigneur en nous. Lorsque Jésus dit : « Le Royaume de Dieu est parmi vous » (Lc 11, 21), il ne fait pas allusion à la charité qui nous unit ; c'est sa présence au milieu de nous qui est le signe du Royaume. Là où le Christ est présent, là où s'accomplit son œuvre, là est le Royaume. Les sacrements sont les signes du Royaume, il est normal qu'il y ait un sacrement qui n'ait d'autre but que de signifier sans cesse la présence du Christ créatrice du Royaume, la présence du Christ comme tête de son Eglise. Ce sacrement est le sacrement de l'ordre, qui institue le ministère sacerdotal.

S'il est un moment qui nous permet de comprendre le rôle du ministère sacerdotal, c'est celui de nos célébrations liturgiques. Le rôle de ce ministère dans toute la vie de l'Eglise est homogène à celui qu'il accomplit dans la célébration. Parmi toutes les célébrations, celle de l'eucharistie, qui comporte un ministère de présidence, nous permet de saisir d'une façon toute spéciale le rôle du prêtre. Voici ce que dit à ce sujet le texte du groupe des Dombes : Vers une même foi eucharistique :

32. Le Christ, dans l'eucharistie, rassemble et nourrit son Eglise en l'invitant au repas qu'il préside.

33. Cette présidence a pour signe celle d'un ministère qu'il a appelé et envoyé.

34. Le ministère manifeste que l'assemblée n'est pas propriétaire du geste qu'elle est en train d'accomplir, qu'elle n'est pas maîtresse de l'eucharistie : elle la reçoit d'un Autre, le Christ vivant dans son Eglise. Tout en demeurant membre de l'assemblée, le ministre est aussi cet envoyé qui signifie l'initiative de Dieu et le lien de la communauté locale avec les autres communautés dans l'Eglise universelle.

Pour que l'Eglise apparaisse comme corps du Christ, il est nécessaire que l'altérité du Seigneur par rapport à son Corps soit manifestée. L'Eglise n'est pas propriétaire, elle n'est pas maîtresse du geste qu'elle accomplit. C'est vrai de l'eucharistie, c'est vrai pour tous les autres sacrements.

Le prêtre n'est pas celui qui préside l'eucharistie, il est signe que le Christ seul préside. Le prêtre n'est pas celui qui pardonne les péchés dans le sacrement de pénitence, il est signe que le Christ pardonne. L'Eglise tout entière est associée au geste du Christ. Cela fait partie du sacerdoce commun à tous les fidèles. L'Eglise pardonne, tous les chrétiens pardonnent. Mais les pardons des chrétiens ne viennent pas s'additionner au pardon du Christ. Tous ensemble, dans le Christ, nous ne faisons qu'un. Le prêtre manifeste que notre acte commun n'est que l'acte d'un seul, le Christ. Nous ne pouvons pas nous approprier ce que nous sommes en train de faire. Sans cesse nous sommes renvoyés à la présence de l'Autre qui seul agit et qui, en même temps, nous donne d'agir en lui, avec lui, par lui.

Le ministre est donc tout à la fois le signe du Christ tête de son Eglise et le signe que le corps tout entier s'unit au Christ. Le prêtre est l'un d'entre nous, mais il est député pour manifester la présence du Christ à notre tête. Il est aussi faux de vouloir se passer du ministère de présidence que de vouloir se décharger sur lui de porter seul l'action du Christ.

L'initiative vient toujours de Dieu. Ce que nous recevons nous est donné. Nous n'arrachons pas à Dieu son pardon. Il nous attend toujours dans une attitude de pardon ; il nous a pardonné avant que nous ne le lui demandions. De cela, le prêtre est signe. Dans l'eucharistie nous ne forçons pas le Christ à se donner en nourriture, c'est Lui qui se donne. Il a l'initiative : « Ma vie, nul ne la prend, c'est moi qui la donne. » Le prêtre ne donne pas Dieu, il est signe que Dieu se donne.

 Communion dans la communauté et avec l’Eglise universelle.

Le service de présidence exprime aussi la communion que le Seigneur crée entre tous les membres de l'assemblée et entre les Eglises locales au sein de l'Eglise universelle

Nous agissons comme membres d'un seul corps. Celui qui parle, parle en notre nom à tous. Il est signe de notre communion. Mais notre communion n'est pas seulement celle qui est réalisée entre gens qui pensent la même chose ou qui font ensemble la même action : elle est l'œuvre du Christ qui nous rassemble. Notre communion se fait autour d'un Vivant ; de cela, le ministère est signe. Il est en tout temps et en tout lieu au service de cette communion, pour qu'elle s'accomplisse et se vive partout et pas seulement pendant la célébration. Le ministère est aussi signe de la communion avec l'Eglise universelle. Même si le ministre est issu de la communauté, ce qui existe encore dans certains pays et pourrait exister un jour chez nous, ce ministre est reconnu comme tel par l'Eglise universelle. D'ailleurs, du moment qu'il est signe du Christ qui préside, il est forcément signe d'une communion avec toutes les communautés chrétiennes : c'est le même et unique Seigneur qui rassemble son Eglise dans tous les temps et tous les lieux.

Le prêtre n'est jamais un homme isolé, il fait partie d'un collège presbytéral uni à l'évêque du lieu. L'évêque fait partie du collège épiscopal et porte avec ses frères dans l'épiscopat la responsabilité de l'Evangile dans le monde entier.

 Relation mutuelle entre la communauté et le ministre.

Par leurs relations mutuelles, l'assemblée eucharistique et son président vivent leur dépendance à l'égard de l'unique Seigneur et Grand Prêtre. Dans sa relation au ministre, l'assemblée exerce son sacerdoce royal comme un don du Christ prêtre. Dans sa relation à l'assemblée, le ministre vit sa présidence comme un service du Christ pasteur.

Ce qui est dit ici pour la célébration de l'eucharistie vaut pour tous les autres sacrements et pour toute la vie de l'Eglise. Dès que l'on pose un ministère, on pose une relation mutuelle. Il n'y a pas l'un qui est dépendant de l'autre ; chacun des deux est dépendant de l'autre. On a trop souvent présenté les choses d'un point de vue unilatéral comme si les fidèles dépendaient des prêtres mais non inversement. C'est de là qu'est née une certaine agressivité qui fait que certains groupes refusent un ministère de présidence. La communauté ne dépend pas de son ministre, elle dépend du Christ. Le ministre ne dépend pas de sa communauté, il dépend du Christ. Mais tous deux vivent cette dépendance à l'égard du Christ dans leur façon même de se comporter l'un en face de l'autre.

Chacun dépend de l'autre, mais en même temps chacun respecte l'autre. Il est aussi faux de voir un prêtre traiter les chrétiens avec un autoritarisme de sous-officier, que de voir des chrétiens considérer les prêtres comme des membres de leur domesticité. Il n'y a qu'un seul service, celui du Christ, nous l'accomplissons l'un et l'autre dans notre façon d'être l'un envers l'autre.

 LE MINISTERE APOSTOLIQUE DE LA RESURRECTION

L'un des problèmes majeurs touchant le ministère est celui de sa transmission ou, si l'on préfère, celui de sa continuité. Le sacerdoce ministériel comporte une « ordination », une imposition des mains qui transmet une charge. Ainsi, de prêtre à évêque et d'évêque à évêque, on remonte jusqu'aux Apôtres, jusqu'au groupe des Douze. C'est ce que l'on appelle la succession apostolique.

Parler du « ministère apostolique » c'est donc parler de la continuité du ministère, des Apôtres à nos jours, et de la signification que cette continuité confère au ministère sacerdotal tel qu'il est vécu dans l'Eglise aujourd'hui.

 Le groupe des Douze, fondement de l’Eglise.

Nous avons déjà parlé de l'importance du temps de l'Ascension, ce temps de la naissance de l'Eglise. Reconnaissance du Christ ressuscité par ceux qui l'ont connu avant sa mort, fondation de l'Eglise, don de l'Esprit et envoi en mission forment un tout. Jean en résume le contenu dans une seule apparition ; Luc, dans les Actes des Apôtres, fait durer l'ensemble sur cinquante jours ; il y a diversité de présentation, mais le contenu est le même.

Ce mystère complexe de la fondation de l'Eglise est porté par les Apôtres, le groupe des Douze. Le chiffre 12 est volontairement symbolique. Il est important. Après Pâques et la trahison de Judas, ils ne sont plus que Onze, Pierre demande alors qu'un douzième soit désigné pour que le groupe retrouve sa plénitude. Douze, c'est la totalité d'Israël, les douze tribus du Peuple de Dieu. L'Eglise est l'Israël nouveau ; dans les Douze elle est déjà tout entière en germe. Les Douze sont le noyau qui a permis à l'Eglise de naître, à toute l'Eglise : celle qui transcende déjà l'histoire, celle qui est virtuellement l'Eglise de la plénitude, celle de l'immense foule de l'Apocalypse, douze mille de chacune des douze tribus.

Après la fondation de l'Eglise, le chiffre de 12 n'aura plus à être signifié de la même manière. On ne le complète plus chaque fois qu'un apôtre meurt. Le groupe a déjà éclaté pour accomplir la mission. Chacun de ses membres a donné naissance à des Eglises. Les successeurs des Apôtres sont multitude, mais ils trouvent leur signification et ils ont l'image de leur globalité dans les Douze.

 La succession apostolique, tradition vivante.

Le témoignage sur la résurrection du Christ suppose une continuité dans l'histoire. La Résurrection est un fait de l'histoire, qui a eu lieu à une époque, un jour déterminé. De ce jour jusqu'à nous, il faut une continuité, une Tradition au sens exact du terme, une transmission de génération en génération.

« Je vous ai transmis ce que j'ai moi-même reçu » (1 Co 15, 3), dit saint Paul lorsqu'il nous donne la liste des apparitions qui fondent notre foi en la Résurrection, et il cite comme point de départ de cette transmission Céphas (Pierre) et les Douze. Luc fait appel de même à la tradition pour fonder l'autorité de son évangile :

« Afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus, il m'a paru bon d'écrire pour toi l'exposé suivi des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole » (Luc 1, 1-4).

La tradition n'est pas seulement un corps de doctrine, des idées toutes faites à transmettre sans aucun changement. Elle est aussi un « milieu vivant » qui nous précède et qui nous survivra, dans lequel se développe et « s'accomplit », au sens évangélique du terme, ce qui était en germe dans le groupe des Douze. La tradition est permanence de l'Esprit à travers le temps. Les conciles œcuméniques, qui rassemblent des quatre coins de l'horizon les successeurs des Apôtres, sont une manifestation de la permanence du groupe des Douze dans la vie de l'Eglise.

La succession apostolique du ministère est le signe efficace, le sacrement de cette tradition.

Cette succession doit être comprise dans le contexte de la permanence de l'Eglise tout entière, qui est fondée sur les Apôtres, témoins et dispensateurs de l'œuvre rédemptrice du Christ, et qui, en vertu de la promesse et du commandement du Seigneur et de l'assistance de l'Esprit, porte dans la continuité de l'histoire la responsabilité de proclamer l'Evangile au monde. Cette succession est attestée et signifiée par la continuité des éléments transmissibles de la charge apostolique, tels qu'ils sont confiés aux ministres institués par le Seigneur, appelés par son Esprit, reconnus et ordonnés dans l'Eglise.

 Les éléments du ministère apostolique.

Ceux qui reçoivent le ministère aujourd'hui ne sont pas de nouveaux Apôtres, ils ne sont pas les colonnes de l'Eglise. Ils sont signe, sacrement, du fondement apostolique de l'Eglise. Sans permanence du témoignage qui est le fondement de l'Eglise, il n'y a plus de possibilité de reconnaître aujourd'hui la présence du Ressuscité. La permanence du témoignage apostolique est sous-jacente à la permanence de l'Eglise. Le ministère est au service de cette permanence et de cette continuité.

En analysant le rôle des Douze comme fondateurs de l'Eglise, on peut en tirer des éléments du ministère apostolique aujourd'hui.

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Importance de la connaissance de Jésus de Nazareth

Jésus a été un homme au milieu des hommes. Le temps de sa vie terrestre restera toujours le temps privilégié de la révélation de Dieu. On ne peut découvrir le Christ ressuscité qu'en reconnaissant en lui Jésus de Nazareth.

Les Apôtres ont été à l'origine de l'Evangile écrit. Grâce à eux, à travers l'Evangile, nous avons, par Jésus de Nazareth, le témoignage de Dieu, marchant sur notre terre d'hommes. Mais Dieu incarné en Jésus de Nazareth suppose Dieu à l'œuvre dans l'histoire de tout un peuple ; cela nous renvoie à l'ensemble de la Bible.

Le ministère révèle aujourd'hui sa signification quand il a le perpétuel souci de la référence à l'Ecriture de tout le corps ecclésial.

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Témoignage de la Résurrection

Les Apôtres sont les premiers à avoir vécu la difficile reconnaissance du Christ ressuscité. Ils ont su lire les signes que Jésus leur a donnés pour authentifier sa présence. Us nous les ont transmis pour nous permettre de découvrir, nous aussi dans la certitude, la présence du Ressuscité.

Le ministère apostolique, dans son rôle sacramentel, témoigne aujourd'hui de la valeur apostolique des signes qui sont encore entre nos mains. « Ils le reconnurent à la fraction du pain. » Depuis lors, il y a toujours ceux qui nous permettent de découvrir la présence du Seigneur en nous partageant le pain.

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Rassemblement de l'Eglise

Après avoir reconnu la présence du Ressuscité, les Apôtres se rassemblent et confessent ensemble la foi en la Résurrection. Ainsi naissait l'Eglise.

Le ministère assure aujourd'hui le rassemblement de l'Eglise pour que l'unité se fasse dans la confession de foi commune. Chacun vient dire à ses frères comment il a reconnu le Christ sur sa route. Le ministère rassemble l'Eglise en confirmant sa foi : « C'est vrai, le Seigneur est ressuscité, il est apparu à Pierre » (Lc 24, 34).

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Envoi en mission

La rencontre du Ressuscité crée la Mission. L'Eglise rassemblée est le lieu où se manifeste l'Esprit de la Pentecôte.

Il n'est pas toujours facile de dire ce qui s'est passé au moment de la rencontre du Ressuscité. Une chose est cependant certaine, la vie est transformée, un dynamisme nouveau est là, la Bonne Nouvelle est proclamée : « Nous ne pouvons pas ne pas publier ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4, 20).

Quand l'Eglise accueille l'Esprit, celui-ci la pousse à rendre témoignage : « Tandis qu'ils priaient, l'endroit où ils se trouvaient réunis trembla. Tous alors furent remplis du Saint-Esprit et se mirent à annoncer la Parole de Dieu avec assurance » (Ac 4, 31).

Le ministère, signe de la charge des Apôtres, porte aujourd'hui « dans la continuité de l'histoire la responsabilité de proclamer l'Evangile au monde ».

 CONCLUSION

Chaque sacrement contribue à la construction de l'ensemble sacramentaire. Il n'y a pas de cloisonnement étanche. Il y a rayonnement de l'un sur l'autre. Ce qui apparaît avec le plus de clarté dans l'un des sacrements se retrouve souvent d'une façon analogique, mais peut-être avec moins de clarté, dans les autres sacrements. Du sacrement de l'ordre nous retiendrons trois points :

a) Le sacrement nous rend autres

Le sacrement permet à notre vie d'avoir une valeur plus grande que celle que nous sommes capables de lui donner par nous-mêmes. Tout sacrement nous rend signes d'un autre, signes du Christ. Par là même il nous demande de nous effacer devant « celui que Dieu révèle en nous », comme le dit saint Paul. Le sacrement de l'ordre nous fait signes du Christ Tête de son Eglise, les autres sacrements nous font tous ensemble signes du Christ présent dans le monde.

b) Le sacrement n'est jamais donné uniquement pour notre avantage personnel

Nous ne sommes pas des consommateurs de sacrements. Nous ne les recevons pas pour notre seul usage. Ils nous confèrent une mission. Se marier, c'est recevoir mission d'annoncer que Dieu est amour. Etre pardonné, c'est recevoir mission d'annoncer que Dieu est pardon. Mais la mission n'est pas pure extériorité, ce ne sont pas des mots que nous avons à dire. Les sacrements nous transforment et nous ne pouvons annoncer que ce qu'ils nous font vivre, ce que nous acceptons de vivre. Nous accueillons Dieu, et le visage de Dieu que nous accueillons transparaît en nous.

On n'est pas prêtre pour soi. On ne reçoit pas le sacrement de l'ordre pour soi ; il en est de même des autres sacrements.

c) La complémentarité du ministre et de l'assemblée

Le rôle du ministère que nous avons essayé de préciser doit être vécu dans la célébration et dans la pastorale de chaque sacrement.

Le ministre ne remplace pas le Christ, il ne remplace pas davantage l'Eglise, la communauté concrète des croyants. Il signifie le Christ agissant comme Tête du Corps, il signifie aussi que l'assemblée se rend solidaire de sa Tête, qu'elle est unie au Christ.

Dans certains cas limites la complémentarité de la tête et du corps n'est pas rendue visible. C'est ainsi qu'un prêtre seul peut baptiser mais qu'un laïc seul peut aussi, en certains cas, baptiser. Un prêtre seul peut être témoin d'un mariage, mais, en certains cas, les fiancés seuls peuvent se marier. Un prêtre seul peut pardonner, il fut une époque où un laïc le pouvait aussi.

Mais ce sont des cas limites. En les multipliant, on risque de perdre la signification de l'ordre sacramentel. La plénitude de signification des sacrements ne peut apparaître que lorsqu'ils sont célébrés par le sacrement total du Christ, le Corps avec sa Tête, l'Eglise rassemblée avec ses ministres.

Pour connaître mieux la législation de l'Eglise Catholique concernant l'ordre, qui se trouve dans le Code de Droit Canonique, cliquez ci-dessus.